"La peur n'évite pas le danger " me disait souvent mon père. Je pense qu'il le disait autant pour se rassurer lui-même que pour ma mère et moi.... Comme une manière de conjurer le sort... Ça n'apporte rien d'avoir peur, ça n'empêche pas les choses de se produire, ça peut même les empirer, ne dit-on pas que "la peur est mauvaise conseillère"?...
Tout ceci est vrai bien sûr, tout ceci est sensé, raisonnable... On le dit parfois aux enfants : "N'aie pas peur, je suis là, il ne t'arrivera rien, tout ira bien..."
OUI MAIS...
Comment faire quand, malgré tout, malgré nous, la peur s'invite dans nos vies ? Comment faire quand le danger, le risque, la possibilité de la mort font partie du quotidien ?
La peur n'est pas quelque chose que l'on peut faire disparaître en claquant des doigts ou en disant une formule magique....
On apprend à vivre avec, à la refouler derrière toute une palette de sentiments. On fait en sorte de ne garder en tête et au cœur que les sentiments positifs, la confiance (en lui, en nous..), l'optimisme, l'Amour, la force....)
On sefforce de vivre au jour le jour, de montrer le meilleur, on serre les dents face aux :" Mais tu dois avoir peur !? Ça doit être dur!?", qui, malgré les meilleures intentions du monde (et nous comprenons parfaitement d'ailleurs), apportent bien souvent plus de mal que de réconfort.... Ces petites phrases sont autant de microfissures qui s'ajoutent à celles que l'on essaie de garder aussi petites que possible, comme si on essayait de colmater un mur avec de la colle d'écolier...
Oui nous sommes fortes, des guerrières, la base arrière essentielle pour nos soldats... justement pour que la peur que "ça n'aille pas bien à la maison " ne s'ajoute pas à celle qu'ils doivent forcément ressentir, là-bas loin de nous, au combat....
Bien sûr, et je le répète souvent, cette situation ne doit pas nous empêcher de vivre... Au contraire il faut continuer, avancer, vivre, pour que ces mois passés loin ne soient pas vains, pour que les choses vécues en étant séparés deviennent des souvenirs communs...
Mais voilà, une fois que j'ai dit ça, ça n'empêche pas qu'elle est là, cette compagne ennemie...
Du moment où on le laisse, qu'on le regarde s'éloigner ou, comme moi, qu'on parte sans se retourner après l'avoir déposé et embrassé une dernière fois, parce que si je me retourne c'est trop douloureux, elle est là, cette boule d'angoisse qui ne me quittera plus jusqu'à son retour....
Dès les premiers instants elle essaie, insidieuse, de me glisser des "et si..." dans la tête...
"Et s'il y avait un accident de bus, d'avion ?" "Et s'il était blessé ? Traumatisé ?.." "Et s'il ne....?"
NON! Je refuse de penser à ça, je me l'interdis, enfin j'essaie....
Parce que parfois cette peur nous submerge, nous empêche de respirer, nous serre le ventre, la gorge de son étreinte glaciale....Le plus souvent j'arrive à la faire taire, mais elle est toujours là, bien installée, prête à bondir à la moindre occasion, parce que je suis plus fatiguée, que je pleure devant un film, ou juste parce que j'ai un moment de tristesse....Là elle en profite pour essayer de remplir le vide qu'il a laissé en partant...
Alors je lutte, je me bats de toutes mes forces, en regardant mes enfants que je dois aider avec leurs propres angoisses, et en pensant à mes parents qui, malgré leurs peurs, m'ont laissée et m'ont encouragée à vivre ma vie...Et je me répète cette phrase comme un mantra...
La peur n'évite pas le danger.... La peur n'évite pas le danger... La peur n'évite pas le danger....
Mais elle est quand même là, tapie au creux de moi, et je dois vivre avec, car je le sais, elle m'accompagnera tout au long de ces mois où je ne serai pas complète, où j'aurai ce vide que rien ni personne ne peut combler à part lui.....